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Ne pas se laisser pétrifier par la neige qui tombe lentement chaque jour…

Mois

octobre 2018

La douleur…

Elle agit la nuit, la garce;  comme la mort et comme tous les traîtres de la vie. Il est une heure, puis deux, et un peu plus  tard, toujours la nuit; on a tout essayé;  rester debout, on ne le peut plus.

Le médecin de nuit nous pique, donne des consignes, parle de paralysie à vérifier. Comment on arrive à ce discernement, docteur? Il explique , pédagogue comme tous les médecins de nuit à la vocation que j’admire. L’effet? dans l’heure qui suit, avance-t-il. Regard sur la montre, vers 5 heures donc…On fait quoi dans l’intervalle? Ça va aller mieux, ne vous en faites pas, me dit l’homme de son sourire fatigué mais chargé de compassion tout de même car il aime l’humain, ça se voit. Heureusement qu’il y en a.

On se rendort, enfin on essaye; la traîtresse est là, trois heures après qui s’annonce de plus belle; on respire, on tend la main pour essayer de la dompter par un massage, on la regarde comme si notre oeil pouvait la maîtriser; dans le souvenir, les élèves , d’un simple regard de notre part, se calmaient. La douleur n’est pas une élève, elle n’en fait donc qu’à sa tête.

Au jour venu, on va hanter docteurs, pharmacies, l’hôpital, un ostéopathe… On  est accompagné mais on sera seul. une autre nuit qui n’en finira pas. Appel aux urgences pour un conseil. Ne pas venir, passer un scanner d’abord… D’où vient la douleur, docteur?…De son laÏus, on retient, bien sûr, l’extrême: cancer des os…

On se recouche, les traits tendus, le corps défait. On compte comme comptaient nos vieux dans les bombardements, entre deux pilonnages. On compte comme pendant l’orage entre deux tonnerres. La douleur irradie, elle nous échappe, on la croyait plus bas, elle sévit plus haut. En vagues de plus en plus violentes, on compte encore et espère sur l’effet de l’ampoule et des cachetons absorbés. Elle s’éloigne, en cercles concentriques; on pense à Dante, à ses cercles de l’Enfer…Faut bien faire diversion en attendant qu’elle passe…

Mais, si elle se calme pour reprendre du souffle, elle sera là dans trois heures, aussi guillerette qu’un enfant qui a bien dormi. On pense aux accouchements qui sont loin dans le temps mais où la douleur était moins forte et puis celle-là passerait.

On se collette avec elle, avec les positions inconfortables qu’elle nous impose. On s’habituerait presque sauf qu’elle sévit n’importe quand, pas franche du tout. Nous déstabilise jusqu’à s’évanouir, de nausées en sueurs froides, de jurons en laisser faire…

Allongé dans le noir , on suit la lune qui nous encourage, on s’y accroche. Elle est parfaite comme sa nuit à elle. Et douce… Mais les nuits répétées sur le calendrier, les nôtres interminables,  disent que la douleur s’est installée, la garce!

VOCABULAIRE…

On dit comment dans les autres langues, se la fermer? Car ça existe partout, n’est-ce pas, cette attitude qui consiste à courber l’échine et dire oui à tout et à ceux qui bon, mal an nous imposent leur diktat? À Bouc aussi d’ailleurs, ça ne plaît guère qu’on la ramène. Traduisez-moi ça en grec , en russe ou même en italien, vous verrez la difficulté car, chacun chez soi, on a nos propres-enfin pas tout à faits propres-mots ou subtilités pour signifier la chose. Et puis vous savez bien comment vivent les hommes, un coup de poignard dans le dos par-ci, une bassesse par-là. Bref, on vous assassine avec le sourire…

Pssst, mèfì, en traversant  la place, le monument aux morts avec sa symbolique ne vous protège aucunement des coups bas!

Mèfì! bis. Bonne journée, essayez de la passer bonne!

Crucifiement… suite

 

J’avais, devant moi, du temps.

Je l’avais espéré, ce temps ; désiré puis organisé enfin.

J’allais avoir vingt et un ans et Rome était la maîtresse qui me déniaiserait. Mon oncle savait combien ce séjour, au cœur de l’Italie, occupait mes pensées depuis l’adolescence. Il m’avait fait rencontrer là, lors d’un premier voyage, l’essence même de la beauté en m’initiant à la sensualité du Caravaggio. À quinze ans, on sent bien que la nudité, dût-elle être celle du jeune Baptiste[1], ne va pas se contenter de glisser sous notre regard quand elle s’est offerte une fois … Et j’avais quinze ans quand mon oncle me la montra dans la longue salle peu éclairée du musée Capitolin.

Mars 1857 donc. Je revenais à Rome, seul, pour y retrouver le jeune garçon qui avait mon âge alors, mais c’était le peintre tout entier que j’attendais de connaître. Mon éducation religieuse, bridant en moi selon ses principes, les forces mauvaises pour élever ma réflexion vers une voie plus intellectuelle, me porta avec insistance jusqu’au Janicule où Néron avait envoyé Saint Pierre vers sa mort, crucifié la tête vers le bas.

J’avais quitté Sant’Andrea Della Valle très tôt dans les vapeurs de la fin d’un hiver qui, jusque-là s’était éternisé ; traversé le Tevere par l’île, au jour déjà né et, le cœur enclin à la découverte, j’étais monté, animé d’une force inhabituelle, jusqu’au petit temple de San Pietro in Mortorio, en reconnaissance des dires de mon aîné.

Je terminais deux croquis et notais quelques réflexions, quand un homme posa sur mon cou une main chaude que je sentais paisible. Je tressaillis pourtant sous la caresse. Il commença par me rassurer ; il m’avait appelé « enfant »… il n’avait donc aucune intention mauvaise à mon encontre. M’ayant vu venir au Janicule les jours précédents, il avait conclu que Saint Pierre me préoccupait ou bien qu’il était pour moi un sujet d’étude. Il avait osé m’aborder. Peut-être me guettait-il même. Par pudeur, j’évitais d’abord son regard, mais je sentais que c’était un homme âgé qui me parlait. La qualité et la force de sa voix, ses inflexions, les pauses de sa respiration. Un homme âgé, c’est ce qu’il était quand je le découvris. Sa main, large, protectrice, était douce pourtant ; et bien différente de celle d’un travailleur qui se loue sur les places, et que l’outil décharne pour ne laisser sur elle qu’une peau sèche et durcie.

L’homme ajouta dans un murmure : «  Viens avec moi en bas. Il nous attend à Santa Maria, tu le verras…Ils arrivent tous de loin pour lui et dans les temps futurs[2], tu entends, la scène que tu découvriras, continuera à les impressionner, à les inspirer, à les pousser toujours vers d’autres crucifiements dans ce siècle et celui qui suivra, sais-tu, enfant. »

Puis, sans nous parler davantage, nous descendîmes jusqu’au Ponte Sisto, et gagnâmes le coeur de la ville qui battait ardemment depuis peu dans cette laitance printanière qui suinte toujours, à ce moment de l’année, des pierres de Rome.

La Piazza del Popolo nous accueillit dans un rayon céleste où nous avancions tous les deux vers Le Caravage qui veillait Saint Pierre dans la petite chapelle…

Elle n’était pas ouverte. Un homme sans âge, au corps déformé, balayait les marches de la petite église. Il leva son visage de nain pour nous inviter à le suivre et il nous ouvrit bientôt l’immense porte en nous bénissant dans une langue incompréhensible. Mon compagnon de route s’installa sur les premiers bancs, ceux du fond, en m’indiquant toutefois la voie pour m’approcher du tableau.

La toile était immense, dépassant ma hauteur d’homme. J’étais tellement moins fort, moins musclé, moins volontaire que ces corps de travailleurs qui procédaient, sous mes yeux, au crucifiement[3] de Pierre. Je croisais le regard de la victime qui implorait de l’aide, le visage tourné vers la gauche, justement là où je me tenais. Ce visage connu de moi était celui–là même du vieil homme du Janicule qui m’avait accompagné jusqu’à la chapelle où j’étais maintenant, pétrifié de confusion, et qui m’attendait encore à quelques rangées de moi. Je me retournai vers ce compagnon du chemin. Il n’était plus dans l’église. Hébété, je cherchai le visage de Pierre. Il était devenu paisible, comme si la souffrance n’était plus la sienne, comme s’il n’avait subi aucun des sévices de l’Histoire, comme si la douleur avait cessé parce que je l’avais apaisé de ma sollicitude en m’avançant vers lui. Alors, une voix m’interpella qui parlait ma langue avec d’autres intonations ; elle souhaitait être entendue et se fit glaciale, coupante. Une lame vive. «  Petit français, ta place n’est pas dans une chapelle ; le maître[4] n’y serait pas resté non plus. Nos pays bougent et il faut les accompagner ; ne me pose pas de questions ! Sors, traverse la place jusqu’à la porte haute qui ouvre sur le Pincio, sans me perdre de vue. Je te conduirai. Sois muet pour tout ce que tu feras bientôt. Mais, si le silence est pesant pour toi, ne le fais pas. »

Une femme parlait ou était-ce un adolescent dont la voix ne s’était pas encore cassée ? Je croisai une dernière fois le visage de Pierre qui se faisait insistant dans les premiers moments de la mort. Il me souriait, paisible dans le passage.

En regagnant la travée pour suivre la voix qui n’était que silhouette noire, je fus frappé par la profusion de clarté, vive et puissante, qui se répandait dans la nef du lieu saint, se pressant de l’extérieur comme foule ou flot incessant. Je gagnai, en me hâtant pour ne pas perdre mon nouveau guide, le parvis de Santa Maria inondé de lumière vive… Une invite à partir, à emboîter le pas à la silhouette que je me préparais à suivre. Je portai un dernier regard vers la chapelle depuis le seuil inondé de la luminosité romaine aux jours qui enflent et décuplent les forces de vie.

Je m’acheminais. À vingt ans, toutes les voies, fussent-elles périlleuses, me devenaient accessibles…

Le Pincio ne semblait plus appartenir à Rome. Les collines noires et dentelées qui barraient ma vue, s’effaçaient lorsque je les apprivoisais en m’approchant d’elles. Je m’attachai, pour ne pas en perdre la trace, à la silhouette noire et mystérieuse que j’avais pour guide et qui se hâtait toujours. Je la perdis pourtant. J’entendais la voix de mon oncle Macaire me tancer :

«  Rome est dangereuse ; mets tes pas dans ceux que tu sais sûrs ; dans ceux-là seulement ! » J’avais donc fauté…

– « Égaré, mon garçon ? On partage mon cheval ? Ce soir, nous serons loin ; Rome est à fuir et la Jeune Italie est à construire, sais-tu. Le choléra n’est pas la seule maladie dont il faut se prémunir. L’influence du pape est bien pire ! Le Quirinal, maintenant le Vatican ; la gangrène ! Et il faut l’arrêter. Allez, en route ! »

Je saisissais mal les propos de l’homme qui me parlait mais je compris qu’il fallait s’éloigner de Rome. J’acceptais d’être emmené loin, très loin du but premier de ma venue dans la ville qui avait été de rencontrer les maîtres. Je me laissais pourtant conduire.

Le cavalier arrêta bientôt sa bête à une fontaine de village de la campagne romaine. Les travaux des champs rameutaient toujours au matin, à cet endroit, les journaliers qui attendaient de se louer. Ceux-là, depuis longtemps, étaient partis. Se tenaient là des hommes jeunes, à peine plus âgés que moi, et qui ressemblaient peu à des travailleurs . Tous portaient un habit noir. L’un d’entre eux, aux manières aguerries de chef, avait plus d’âge ; il toussota, se racla la gorge puis, entre ses dents, livra un nom : Savigliano, dans deux jours, quand l’aube poindra ; la fontaine toujours. Je cherchais son regard. Bleu, très bleu ; dur, très dur. Il continua : Sono Beppe. Da Nizza. Je te fais confiance, je fus français moi aussi[5]

J’allais conserver toujours le souvenir de cet échange et faire mienne la détermination de cet homme honni des services du pape. On murmurait dans les rangs qu’il était parti en exil jusqu’en Amérique, où il avait aiguisé ses armes. À mon insu, les miennes, je les mettais, sans délai, au service de l’opposition qui enflait dans le Royaume du Piémont[6]. Je devenais chasseur des Alpes[7], moins par conviction que par intérêt pour l’aventure. À vingt ans , connaît-on les raisons qui nous poussent à agir ou celles-ci s’imposent-elles à nous parce que justement l’âge n’est pas à la réflexion, encore moins aux hésitations ?

L’épisode romain me fit donc homme d’action et j’abandonnai là, en même temps que ma jeunesse, la pudeur et les balbutiements qui l’avaient entravée jusque-là. J’étais prêt.

 

[1] Jean-Baptiste. Le Caravage. Musée Capitolin.

[2] On dit que la composition du sujet a la forme d’une Svastika ou croix gammée.

[3] Le mot de crucifixion est réservé au Christ.

[4] Le peintre Caravaggio.

[5] Giuseppe Garibaldi, né en 1807 quand la ville de Nice était française. Elle passa dans le royaume du Piémont-Sardaigne en 1814

[6] Voir accords secrets de Plombières qui stipulent l’intervention française en cas d’agression de l’Autriche.

[7] Les chasseurs des Alpes étaient des volontaires engagés pour la libération de la Lombardie des rets autrichiens (2ème guerre d’indépendance italienne avril et mai 1859.)

 

Crucifixion et crucifiement…

via Crucifixion et crucifiement…

Crucifixion et crucifiement…

Le premier on l’ a infligé au Christ , le deuxième, aux hommes, un peu tous les jours. Une histoire de vengeance dans les deux cas et toujours deux camps adverses; ceux qui disent et ceux qui se gardent bien de le faire… Autrement dit, on est sur terre et pas chez les Dieux.

Quand j’ai découvert à Rome, dans la petite église de Santa Maria del popolo, ce tableau de Caravaggio devant lequel il y avait une file interminable, je parle du crucifiement de Saint-Pierre, je me suis dit que l’homme peintre savait de quoi il parlait et que la chose avait dû lui arriver à lui aussi, Pierre étant un symbole. Alors je me suis mise au travail d’écriture pour raconter un cheminement que j’ai situé dans l’histoire de l’unité italienne; le début d’un roman historique en somme. Historique car le temps ne s’arrête pas: de Caravaggio au nazisme que représentent, en svastika, les diagonales de ce tableau, l’homme est resté l’homme des petitesses…

Heureusement que Noël approche!

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Commémorer…

CONF JPL 1KFÈ 11-18

Pour mémoire… On ne sait jamais tout; on sait même très peu de choses…

Venez, le 10 novembre 18!

Allez, debout! Alzati e cammina!

Sur la traduction du livre de Sandra Passerotti: Non bestemmiare il tempo/ Le temps ne se profane pas!

Allez, debout !

Écrire est une démarche lente. Un jour, vous comprenez que tout va trop vite. La course. Toutes les courses. L’étourdissement. Le divertissement.

Traduire en est une autre, urgente et nécessaire. Après l’éblouissement d’une rencontre*.

Née en 1949, j’aurais pu écrire sur Don Lorenzo Milani car j’avais l’adolescence de ses élèves au même moment où ils la vivaient. Mais j’étais une fille française, d’un petit village de Provence où la communale rassemblait tous les enfants. Fils de paysans et d’ouvriers ; fils d’immigrés, italiens et espagnols surtout ; fils d’allemands ayant épousé, après la guerre, une française ; enfants aussi rentrant de l’Algérie, de la Tunisie et de l’Afrique de la colonisation française. Nos maîtres étaient les descendants des hussards noirs de la République[1] aux valeurs inoxydables. Durs et intransigeants.

Puis, la référence immédiate à THE WALL[2] que fut ensuite le « lycée-moule » de la ville proche qui attendait de nous uniformiser, nous préparant, sans l’anticiper, à la rébellion que l’on sait, à la fin des années Soixante.

Dans l’intervalle, avaient « sauté en route », les petits « moins doués », ce qui restait à vérifier, ou moins dotés par les parents et l’entourage. À 14 ans, à cette époque, ceux-ci, filles ou garçons, le certificat de fin d’études en poche, devenaient apprenti-e-s. Je pense fortement à mon ami de toujours, Pierre Calès, né en 1948 et qui nous a quittés l’an dernier. Il avait « choisi » d’être maçon et d’entrer chez les Compagnons du Devoir[3]. Quand on demandait : C’est quoi M’sieur, un compagnon du devoir ? On entendait les trois mots suivants : les bâtisseurs de cathédrale… un fond d’admiration dans la voix de leur auteur. Pierre, maçon toute sa vie, n’avait pas aimé l’école ; il le lui avait dit. Aucun intérêt à ses yeux pour des choses inutiles, dérisoires et souvent spécieuses. Il avait opté toute sa vie pour la « résistance » ; son frère aîné, Résistant, lui, était mort en 1944…

Mon ami Pierre avait l’intelligence vive et une grande connaissance des textes essentiels : La Commune, Hugo, Jaurès et les auteurs russes magnifiques ; une intelligence vive, j’insiste et une connaissance aussi des choses de la vie dans tous les domaines : l’avancée des sciences, l’histoire des hommes, de ceux qui minuscules mais grands dans leur âme et des autres : de ceux que l’on appelle grands qui s’agitent sur la scène, toutes les scènes politiques ou médiatiques, mais hommes minuscules dans leurs manifestations pitoyables, au final… Mon ami Pierre, s’il avait rencontré Don Lorenzo Milani- car tout est question de rencontre-, se serait réconcilié avec les « calotins »[4], enfin, du moins avec lui, Don Lorenzo, parce qu’il était un prêtre « dépoussiéré » et surtout un Homme !

Pour la même raison, je me suis mise à traduire le livre de Sandra Passerotti, la femme de Fabio Fabbiani, né en 1949 comme moi. La première lecture que j’en avais faite m’avait interpellée ; j’avais devant moi une communauté d’enfants conduite par un curé qui les aimait au point de les appeler ses fils, ce qu’il dit d’ailleurs un jour au père de Nevio Santini[5]: À compter d’aujourd’hui, ton fils deviendra mon fils . Un prêtre qui les faisait travailler différemment, comme à Summerhill dont je parlais beaucoup à mes élèves de collège alors, comme d’un idéal que j’avais pour eux, mais complètement irréalisable dans notre petite France. Travailler différemment et réussir son temps d’élève qui doit laisser de bonnes traces, lesquelles traces se distilleront sur la vie adulte qui leur sera impartie ; un peu comme le dit le proverbe chinois qu’on apprenait volontiers: Donne à manger à un homme, il vivra trois jours. Apprends –lui à pêcher, il vivra toute sa vie.

Tant il est vrai que ce qui n’est pas ruminé par soi-même, n’est pas nutriment de bonne qualité.

J’ai relu le livre affectueux et vrai, au titre difficile de Sandra et j’ai voulu le faire lire autour de moi et là, je n’ai pas pu : il était écrit en italien. Alors j’ai commencé à le traduire.

Il reste de cette aventure, plus qu’un exercice qui prend du temps, beaucoup de temps, un sentiment de plénitude ; car la vie, LES vies, dont on parle avec ses mots français, prennent une dimension, revêtent une épaisseur ou se chargent d’une intensité telle, qu’on vit véritablement avec les petits de Barbiana, dans leur classe jusque très tard le soir et commençant très tôt le matin, on s’assoit parmi eux et on se prend à attendre ce que va nous dire le Père, et ce qui va arriver aujourd’hui dans ces lieux retirés de la campagne toscane et montagnarde d’un temps. À Barbiana dans le Mugello, au Nord de Florence et de Fiesole, si près de ces belles italiennes.

J’enrage quand le mot français ne dit pas toute la nuance du terme italien. Don Milani m’aurait poussée à chercher encore, m’aurait persuadée qu’il me fallait trouver, qu’il y a toujours une voie.

Il y a enfin, au tréfonds de ce qui n’est pas tangible et même si les témoignages, courts et sensibles en sont pétris, l’émotion…

Cet état vous tenaille et vous savez bien pourquoi…

La voix convaincue et convaincante de Sandra, la justesse de ce que Fabio lui raconte et se vit au fil de leurs pages, l’authenticité de l’expérience et la droiture en même temps que la personnalité de Don Lorenzo Milani. C’est tout cela.

Je me suis glissée autour de la grande table de Barbiana et j’ai dit à voix basse : « Pousse- toi, Fabio ! Fais-moi un peu de place, Nello ! Je suis des vôtres, dai ![6] »

Élisabeth Fabre-Grœlly. Bouc-Bel-Air, France. Août 2018.

* Livre écrit en italien : Fabio Fabbiani : NON BESTEMMIARE IL TEMPO. L’ultimo insegnamento di Don Lorenzo Milani. A cura di Sandra Passerotti. Con contribuiti di Francesco Gesualdi e Andrea Bigalli. Edizioni

[1] Les Hussards noirs de la République étaient les instituteurs sous la IIIe république française (1870-1940) qui étaient habillés de noir.

[2] Pink Floyd The Wall. Film de Alan Parker et Bob Geldof.1982.

[3] Les compagnons du devoir, un héritage du compagnonnage, basent leurs objectifs sur le travail bien fait, et leurs savoir-faire qu’ils partagent en communauté. Ils mettent l’accent sur le voyage et l’ouverture culturelle.

[4] Péjoratif : un calotin est quelqu’un qui défend le clergé, un dévot.

[5] Non bestemmiare il tempo, page 151*

[6] Dai ! L’équivalent de Allez !

Alzati e cammina…

Scrivere è camminare lentamente. Un giorno, capirete che tutto vola. La corsa. Ogni corsa. Lo straniamento. Il divertimento.

Tradurre è un’altra forma di cammino: pressante e essenziale. E segue la magia di un incontro*.

Nata nel 1949, avrei potuto scrivere su don Lorenzo Milani perché attraversavo l’adolescenza dei suoi scolari proprio quando loro la vivevano; ma ero una ragazza francese, di un paesino della Provenza, dove la comunità accoglieva tutti i ragazzi. Figli di contadini e di operai; figli d’immigrati, specialmente italiani e spagnoli; figli di tedeschi che, dopo la guerra, avevano sposato una francese; ancora: ragazzi che arrivavano dall’Algeria, dalla Tunisia e dall’Africa delle colonie francesi. I nostri maestri erano i discendenti degli ussari neri della Repubblica1, dai valori granitici. Rigidi e inflessibili.

Eppoi, inevitabile, il riferimento a THE WALL2 che divenne la “scuola-fortezza” della città vicina che, senza volontà di anticiparla, ci stava formando alla rivolta che conosciamo della fine degli anni sessanta.

Nel frattempo, avevano “saltato il fosso” i piccoli “meno dotati” – e questo era tutto da verificare – o meglio, i meno fortunati a causa dei genitori e dell’ambiente. A14 anni, in quell’epoca, proprio questi ragazzi, ottenuto l’attestato degli studi obbligatori, diventavano apprendisti. Ho nel cuore il mio amico di sempre, Pierre Calès, nato nel 1948 e che ci ha lasciato l’anno scorso. Aveva “scelto” di fare il muratore e di far parte dei Compagnons du Devoir 3. Quando gli veniva chiesto: Cos’è dunque un artigiano del dovere? venivano pronunciate queste parole: i costruttori della cattedrale… l’espressione di un’ammirazione profonda nella voce di chi le enunciava. Pierre, muratore per tutta la vita, non aveva amato la scuola: glielo aveva detto. Disinteresse completo per il superfluo, l’insignificante e, non di rado, il superficiale. Tutta la sua vita era stata “resistenza”; il fratello maggiore, Resistente, era morto nel 1944 …

Il mio amico Pierre aveva l’intelligenza acuta e una grande conoscenza dei testi fondamentali: La commune, Hugo, Jaurès e gli straordinari autori russi; e insisto sulla sua intelligenza acuta e aperta e anche sulla sua conoscenza delle cose della vita in ogni sua forma: i progressi scientifici, la storia della gente, di quegli sconosciuti piccoli esseri ma grandi nell’anima e… degli altri: di quelli che vengono considerati grandi, perché animano le scene – ogni scena politica o mediatica – ma uomini minuscoli, inconsistenti, nel loro essere patetici, alla fine… Il mio amico Pierre, se avesse incontrato don Lorenzo Milani – perché proprio di incontri si tratta -, si sarebbe riconciliato con i “calotins”4, magari soltanto con lui, con don Lorenzo, perché era un prete “delle origini” e soprattutto un Uomo!

Per la stessa ragione, ho cominciato a tradurre il libro di Sandra Passerotti, la moglie di Fabio Fabbiani, come me nato nel 1949. La prima lettura fatta mi aveva coinvolta; mi trovavo di fronte a una comunità di ragazzi guidati da un parroco che li amava così tanto da chiamarli suoi figli, proprio quello che dice un giorno al padre di Nevio Santini5: A partire da oggi, tuo figlio sarà anche mio figlio. Un prete che li faceva studiare in maniera diversa, come a Summerhill – di cui parlavo a lungo ai miei scolari, come di un obiettivo che mi ero prefigurato per loro, ma del tutto irrealizzabile nella nostra piccola Francia. Studiare appunto in maniera diversa e, proprio del tempo della scuola, lasciare tracce significativamente indelebili, tracce che si sarebbero dipanate nella vita adulta e che avrebbero ritrovato giorno dopo giorno; quasi come il proverbio cinese che ci fa piacere conoscere: Dai da mangiare a un uomo, e vivrà tre giorni. Insegnagli a pescare, potrà vivere una vita intera.

E’ così vero che assomiglia al nostro proverbio che dice: Chi fa da sé fa per tre, a significare che senza impegno e consapevolezza non potranno esserci frutti duraturi.

Ho riletto il libro tenero e vero di Sandra, dal titolo difficile, e ho desiderato farlo conoscere alla mia comunità, ma non mi è stato possibile perché era scritto in italiano. Per questo ho iniziato a tradurlo.

Di questo viaggio, piuttosto che un esercizio che richiede tempo, molto tempo, mi resta un senso di pienezza; perché la vita, LE vite narrate con la lingua francese prendono consistenza, assumono spessore o diventano talmente intense che si arriva a vivere davvero con i ragazzi di Barbiana – nella loro aula fino a notte pur avendo iniziato presto, molto presto di mattina – ci si siede in mezzo a loro e si aspettano le parole del Parroco e quello che, attualmente, sta succedendo in queste zone remote della campagna toscana, un tempo contadina. Nel Mugello di Barbiana, a Nord di Firenze, così vicino alla bella cittadina italiana.

Mi arrabbio quando la parola francese non rende la sfumatura del vocabolo italiano. Don Milani mi avrebbe spinto a non fermare la mia ricerca, mi avrebbe convinta che dovevo ancora cercare: esiste sempre un’ altra possibilità.

E c’è anche, nel profondo dell’intangibile, benché le testimonianze, brevi e delicate, ne siano piene, l’emozione …

Questa condizione vi afferra e conoscete bene il motivo …

La voce convinta e convincente di Sandra, la giustezza di ciò che Fabio le racconta e che si respira pagina dopo pagina, l’autenticità dell’esperienza e l’onestà e la personalità di don Lorenzo Milani. Questo è tutto.

Mi sono intrufolata attorno al grande tavolo di Barbiana e ho sussurrato: “Ehi Fabio, forza, spostati! Fammi posto, Nello! Sono dei vostri, dai!6

Elisabeth Fabre-Groelly. Bouc-Bel-Air, France. Août 2018.

 

*Libro scritto in italiano: Fabio Fabbiani: NON BESTEMMIARE IL TEMPO.

L’ultimo insegnamento di don Lorenzo Milani. A cura di Sandra Passerotti.

Con contributi di Francesco Gesualdi e Andrea Bigalli. Edizioni Dissensi.

 

1 Gli Ussari neri della Repubblica erano i maestri della III repubblica francese (1870-1940), vestiti di nero.

2 Pink Floyd The Wall. Film di Alan Parker e Bob Geldof -1982.

3 Gli artigiani del dovere, eredità dell’artigianato, partono dal lavoro ben fatto e condividono nella comunità le loro competenze. Si focalizzano sul viaggiare e sulla mentalità culturale aperta.

4 Peggiorativo: un calotin è chi difende il clero, un credente.

5 Non bestemmiare il tempo, pag. 151*

6 Dai! Equivale a Allez!

 

 

 

 

 

ATELIERS D’ARTISTES À BOUC-BEL-AIR, Samedi 6 et dimanche 7 octobre 2018.

via ATELIERS D’ARTISTES À BOUC-BEL-AIR, Samedi 6 et dimanche 7 octobre 2018.

ATELIERS D’ARTISTES À BOUC-BEL-AIR, Samedi 6 et dimanche 7 octobre 2018.

De vraies richesses…

Un 6 et un 7 octobre, entre deux épisodes de pluie, de celles qui nous font du bien. Tricoter différemment sa vie fait du bien aussi. En se frottant aux artistes qui nous recevaient à deux ou à trois dans leur maison, on s’est souvenu que vivre c’est aussi vibrer.

Le premier artiste, Bernard Varvat, nous accueille, souriant suivant son habitude. Il n’est nul besoin de poser des questions sur la provenance du marbre, son coût, sa difficulté à le trouver ; son rapport à lui, le marbre justement, Bernard nous en livre l’information, en pédagogue paisible, pour qu’on retienne plus que quelque chose. Puis c’est un peu de sa démarche de sculpteur que l’on pénètre, les croquis qui précèdent, le polissage qui suit, plus ou moins affiné pour que la lumière joue sur la matière. Les formes rondes d’il y a quelques années ont cédé la place à une géométrie calculée à fleur de pierre qui tente le risque à prendre sur l’arête. Bernard Varvat le prend et, avec lui, on apprend. Un choix personnel : la vertèbre-tête de renard en serpentine gris pâle mais aussi le bloc noir à peine essuyé qui sait déjà ce qu’il deviendra. Merci Bernard et merci à la douce personne qui le suit, son épouse Fabienne qui est aussi le contact de la manifestation.

Dans le jardin de Bernard, en haut, deux hommes du feu et du fer. Forgeron, quelle belle appellation. DDelucchi ( Dédé Lucchi?) l’a enseigné, cet art, et se désole, lui, que d’émules il n’y en a plus. Son copain et ami, sans doute, Ray, essaye là, sur le feu, de donner vie à une tige de fer. Lui y croit, c’est son art aussi ; se profilent autour de nous de belles grilles souples, devenues vagues et femmes. Deux hommes qui expliquent inlassablement la fougue qui est la leur car fougue vient de feu, n’est-ce pas ? Une adresse à ne pas égarer car Ray Lubrano del Amor (Ah ! l’amour …) n’est pas loin de chez nous ; à la Gavotte, je crois.

On quitte la Gardure et file chez Émile et Lilou. La manière de le dire fait penser à une guinguette, mais quand on y est on sait que c’est un atelier ; à l’ancienne…  c’est chez lui pourtant. Impasse Darwin. Émile Estève en blouse blanche est intarissable sur les techniques qui sont les siennes, sur ses pastels, des Schmincke qui ont une tendresse, une finesse, une beauté…mais je ne vais pas trouver le mot d’Émile… Alors on s’arrête sur la vague dont il vient de traiter la crête avec ce fard de pastel… On est subjugué. L’homme a invité son ami Jean-Louis Monfort et Huguette son épouse, tous deux artistes, sculpteurs e céramistes. Le Raku expliqué nous tient en haleine et les poissons que Jean-Louis a créés nous interpellent tant dans les couleurs qui se révèlent, après traitement, que dans la forme donnée par son auteur qui connaît la mer, toutes les mers. Beauté des pièces, accueil d’absolue gentillesse, petits biscuits faits maison, chouquettes et gâteau meringué au citron ; en somme, une traversée de l’après-midi des plus fascinantes. Nous sommes prises par la conjugaison de tout cela.

Un troisième atelier à l’autre bout de la commune, Sauvecanne, au fond d’un jardin animé de sculptures diverses, petites choses qui se cachent, animaux qui surveillent, femmes au repos, bois devenues bêtes pas idiotes. C’est, cette fois, chez Mady Zarifian. On ne sait pas où poser le regard, alors elle le sent et elle nous entreprend. Raku encore mais l’engobe change ; Mady travaille les gris et les bleus et elle nous parle également du choc thermique de cette technique qui laisse coi l’artiste lui aussi quand il découvre ses objets sortis du feu. L’émerveillement de Mady est communicatif et nous sommes séduites.

Mady a invité, elle, une créatrice de tableaux, tous étranges, réalisés à partir de collages, savamment disposés après découpage. Des scènes qui se révèlent surprenantes, envoûtantes parfois, terrifiantes d’autres fois. Bien sûr que Caravage ou Rembrandt traversent la toile mais l’univers créé taquine notre œil et s’adresse à nos songes personnels. L’artiste se sert abondamment de vieux livres colorés, aux caractères graphiques désuets. Sacrilège de découper de vieux ouvrages crieraient certains ! Christine Lopez les défend en leur donnant une nouvelle vie car ils sont sortis d’étagères ou de cartons ou de caves de salpêtre pour s’inviter à la fête de l’imagination. Hier, je fus Alice…Si, Si, souvenez-vous du pays des merveilles…

C’est l’heure du soir et le lendemain sera riche de futures découvertes. Et il l’est en effet.

D’un bout à l’autre de la commune, on se retrouve au chemin de Saint Hilaire, chez Élisabeth et Agnès Klefstadt, créatrices de mère en fille ; l’une est passionnée de raku, l’autre amoureuse des arbres ; les deux avant de caresser leurs pièces d’une grande finesse visuelle, nous racontent leur parcours. La mère, trente ans de travail et autant d’émerveillement, nous montre pas à pas les étapes du raku ; de la préparation du feu à son alimentation soutenue, de la couverture à la découverte de ce que sont devenues ses pièces… Huit heures de gestation et un final de surprise, toujours. Des éléments au toucher de soie, qu’une agate, puis une autre, ont poncés sans lassitude. La fille, Agnès, architecte de formation, privilégie le bois, sa découverture intérieure quand on le fend, ses veines. L’olivier est le plus surprenant ; son cœur est toujours excentré. La technique du bois brûlé attire dans l’objet fini grâce à sa patine qui ne s’altère pas si l’objet vit à l’extérieur. Les questions fusent, les visiteurs entrent, on se sent emmagasiner de vraies richesses.

Il y a un homme entre ces deux femmes, invité par elle, un artiste aussi : Patrick Andruet qui nous livre moins son passé d’architecte que son accident et ce qui en découla : une vision éclatée ; son image numérique (c’est ainsi qu’il la définit) n’a pourtant rien d’un produit sorti d’un ordinateur, mais d’un tableau où chaque plan va être fractalisé, agrandi, retréci, compressé pour arriver à une dentelle qui, selon la distance de l’œil se fait troublante ou immensément divisée. Ainsi ces deux ponts japonais où l’eau se déroule en cristaux, où le métal des arcs se déploie en aiguilles infinies qui s’interpénètrent. C’est Bowie aussi qui nous regarde des tous ses mystères, plus encore, prisonnier heureux de ce que l’artiste en a fait. J’opte, en partant et me retournant, pour le pont jaune aux dimensions de l’au-delà, enfin… de celui qu’on décide qu’il sera.

Je dédie ma réflexion sur ces œuvres d’artistes à mon amie Agnès Blasquez qui se faufile partout entre nous… Dis-moi que  tu veilles,  ma belle, sur ce monde qui fut le tien, n’est-ce pas?

Élisabeth Groelly

Bouc-Bel-Air, les 6 et 7 octobre 2018.

Manifestation La route des Arts. Ateliers portes ouvertes.

 

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* Pastel Émile Estève. Photo:JC.Lenaersemile estève vagueIMG_1212IMG_1216IMG_1225-1IMG_1224IMG_1246IMG_1245IMG_1241IMG_1236IMG_1232

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