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Ne pas se laisser pétrifier par la neige qui tombe lentement chaque jour…

Mois

janvier 2016

Je reste Charlie…

C’est du temps dans une vie, un an.

Du temps où on bosse, où on écrit, où on partage, où on fait l’amour, où on se fait des amis- les ennemis se font d’eux-mêmes-, où on tombe malade, où on guérit parfois; du temps où on s’émerveille encore. Du temps…

Les Charlie vivent par procuration, la nôtre. Pas de ces pouvoirs -bidons qu’on déverse, pour se dépêtrer de nos responsabilités, à ces  assemblées générales pompeuses et stériles… Non, une vraie procuration, sérieuse, grave, celle de la vie. La leur se poursuit dans les échanges de tous ordres, dans les mots aux enfants; leur parler de la mort n’est pas aisé, mais leur dire qu’avec une arme on tue et qu’après on ne voit plus jamais la personne , plus jamais; comme si tu ne pouvais plus jamais voir ton papa ou ta soeur… Alors ces petits-là se mettent à peindre pour penser un instant à la conversation. L’un d’eux justement s’appelle Charlie, c’est son deuxième prénom; l’autre c’est Clara à qui on a dit que par-terre, il y avait des gens couchés qui ne bougeaient plus, comme des fourmis qu’on écrase…

Le « nègre »

Pour ceux qui ne lisent pas l’italien, voici une partie de la traduction du beau texte d’Andrea Borsotti ( voir novembre 2015)

Le « nègre ».

C’était en novembre 1944. Un matin particulièrement doux pour la saison. On approchait de midi.

À Borgunto, avait commencé le va-et-vient du samedi. Je me trouvais devant l’étal de Noemi où j’essayais de trouver des pommes sans le ver et pas trop touchées. Je ne m’étais pas aperçue du groupe de soldats alliés qui se trouvaient sur le passage. Un fruit glissa de la corbeille jusqu’à mes pieds et roula sur les dalles de pierre. Je me baissais et tendis la main pour arrêter le fruit rebelle ; une autre main l’attrapa avant moi.

C’était la première fois que je me trouvais face à face à un noir et de si près. J’étais étonnée de voir qu’il avait les ongles clairs et je remarquai aussi que la paume de sa main, quand il me tendit le fruit, était claire comme la mienne. Je me souviens que nous nous sommes relevés en même temps et que je suis devenue toute rouge de timidité… Pourtant, j’insistais pour voir ses yeux, d’un marron si brillant, ses dents d’un blanc immaculé, ses lèvres rosées… Je le remerciais à voix basse pour ne pas me faire remarquer des gens autour de moi. J’avais un peu honte. Nous étions maintenant éloignés l’un de l’autre mais notre tête était pleine de cette rencontre. Il me parla dans sa langue que je ne comprenais pas et il me souriait en regagnant ses compagnons. En reposant la pomme, je sentis sur moi les yeux pleins de curiosité de Noemi. Moi, je continuais à suivre du regard ce jeune garçon de vingt ans dont je ne savais pas le nom et qui était venu chez nous depuis son village lointain, risquer sa vie pour libérer le nôtre. Je me souvenais de Franz, le jeune allemand avec ses petites lunettes rondes. Lui aussi avait vingt ans et lui aussi était venu ici risquer sa vie. Avait-il su seulement pourquoi ?

Les deux garçons avaient les yeux, les dents et la bouche de la même couleur… Franz, à la peau blanche et satinée, comme le lait. L’autre, à la peau foncée et tendre comme l’est une lamelle de fondant au chocolat. Tous les deux si semblables pourtant…

Causerie avec Bach et…Bernard Gély

Troisième causerie de l’exercice culturel 15-16 en bibliothèque.

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Causerie du premier mercredi 6/1/16

Bach était avec nous mercredi soir des rois ( 6 janvier 2016). Bernard Gély, organiste musicologue et titulaire de l’orgue à la Madeleine à Aix en Provence, l’accompagnait de mains de maître. Une heure de partage, sur la base de la gratuité pour tous dans un cadre où les livres nous écoutent, prêts à intervenir: la bibliothèque de Bouc.

Dans mon pays , on remercie. Les matinaux, René Char.

Je remercie donc, Marie-Odile Armandon, adjointe à la culture de la ville, nos bibliothécaires autour de Mireille Authié, et Bernard Gély.

Je dédie cette causerie à mon beau-père, Jean Groelly qui fut lui aussi, organiste titulaire à la  Madeleine, à Aix. Et cette nouvelle, écrite pour lui.

Le choral du veilleur.

Le temps de l’Avent marquait toujours le début des répétitions.

Dès la fin du repas, il repartait à La Madeleine et là, dans l’ombre sépulcrale de son espace limité, il s’acharnait sur les jeux, retravaillant

SIb MibFA SOL SOLFA FAbSOL SibLAb SOLMIbFA FAbSOL REMIbla

phrase encore et encore. Le quotidien des douleurs et celui bien plus grand des désillusions s’effaçait quand Bach lui parlait et il semblait que leur complicité nous chassait de cette bulle sonore.

Samedi, au milieu des cris du marché des Prêcheurs, je me suis glissée dans son antre. Je ne suis pas montée vers lui pour mieux saisir d’en- bas la rondeur du choral, en percevoir la mécanique subtile.Engranger aussi le sautillement des notes, leurs magiques entre- lacs.

En le murmurant ce matin, le choral, les premières mesures s’écoulaient, hésitantes. Je voyais bien maintenant où il fallait se préparer à lui tourner la page et je saisissais mieux en risquant un regard oblique vers lui, le moment où le phrasé ne le satisfaisait plus. Il le sollicitait autant de fois que sa rigueur le lui imposait et Bach veillait dans l’atmosphère glacée de décembre. La pièce musicale résumait tous les hivers de l’enfance, là-haut dans l’Est, puis ceux de Provence à peine moins givrés.

Car, même Aix est froid. Et terriblement humide en hiver. Pas de vent pourtant, ou si peu. C’est le redoutable mistral d’Arles qui le rend différent d’elle. De mémoire, les pierres de la Major qui domine le Rhône enseignaient au corps qui s’attardait dans ce lieu pour l’annuel concert de Noël, une préparation matérielle du caveau qui l’attend.

Le choral me ramenait aussi à Sainte Claire où, il ne faisait presque plus froid tant notre être figé en souffrait quotidiennement, tant nous étions LE FROID même !

On nous y avait oubliés, objets dérisoires de l’étude psychiatrique, …

À Aix, la pétrification par le gel s’élabore par couches glacées qui s’incrustent en strates patelines sous le manteau épais et jusque dans les bottes fourrées du grand hiver.

Dans l’église de La Madeleine, Beau-père, le froid de décembre devenait supportable quand, le dimanche, aux vêpres, vous égreniez ces chorals de Noël pour un public réduit mais qui savait faire la trêve des préoccupations matérielles des fêtes ; et ce public appréciait l’offrande de ces moments précieux.

« -Jacques, sois là pour les jeux ; relis ta partition, tu hésites encore quand j’ai besoin de toi.

– Pierre, tu as pensé aux programmes ? La couverture ne me plaît pas, mais nous ferons mieux dimanche prochain. Le nombre est suffisant? Dis à Marie Thé d’être à l’accueil une demi- heure avant.

– Qui pourra amener Mamée ? Elle tient à « son choral du veilleur » ; vous savez bien que Papé le jouait toujours pour Noël  à Cravanche, nous le lui devons  ! Un accord tacite entre lui et Le Grand Veilleur… 

– Babette, monte vite t’asseoir pour le tournement». C’était son mot. Le tournement.

Beau-père…

Je n’ai plus froid, enroulée sur le banc de la travée gauche. Là, seulement là où on peut capter les phrases cristallines et paisibles, les notes rares qui vont emplir l’espace, et percevoir, sans pouvoir les retenir, toutes les autres, redondantes qui s’échapperont, inutiles dans l’air frisant des lieux, camouflant à peine le régulier chuintement de l’orgue.

Petit oiseau en boule, j’attends qu’il me fasse le signe habituel…

« – Madame, vous dormez ? l’église est en chantier. …Le site est interdit au public, c’est dangereux ici.

   – J’ai rendez-vous pour le concert de demain. Il joue à seize heures trente. Il m’a confié la clé, je dois l’aider à l’orgue.

   – Vous parlez de qui ?

   – Monsieur G. joue toujours  «  le choral du veilleur » en ces temps de l’année. Il dit que l’âme engourdie se vivifie à condition que le veilleur la nourrisse et guette… Venez ! Il a besoin de vous aussi ! 

   – Madame, soyez sensée, Monsieur G. ne vient plus ici depuis longtemps.

Le père M. lui a dédié une messe quand il a su… Et puis La Madeleine est fermée depuis trois ans. »

Élisabeth Groelly. Décembre 2010. À Jean Groelly, mon beau-père. 
          

U know what?

VOEUX 2016Voir l’article pour en savoir plus.

Source : U know what?

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