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Ne pas se laisser pétrifier par la neige qui tombe lentement chaque jour…

Mois

juillet 2020

Lecture d’été, ma non solo…

Bon, on va dire que je suis partiale parce que je suis tombée un jour dans le chaudron de l’italianité…Pas si vite pourtant! L’autrice s’appelle Paola Pigani mais dans son bouquin Des orties et des hommes, c’est d’universalité dont il est question. Vous savez, cette appartenance au grand tout qui vous touche à vous émouvoir pour de bon. Tenez, lisez l’extrait ci-dessous qui parle de jours tristes en pension et qui, pourtant, palpitent d’un rien…Si ça ne vous bouge pas le coeur, c’est qu’il n’est pas au bon endroit. Paola Pigani décrit un quotidien de paysans pauvres, très pauvres, immigrés depuis l’Italie; de la famille aussi, chargée en filles. Ça pourrait ressembler à tant d’autres situations, livres, histoires, mais le détail vous dit que c’est de l’écriture, de la vraie; reflet des gens et pas de soi-même ou alors si humblement. Écoutez ses phrases à elle et vous m’en direz des nouvelles, écoutez…

Regards

C’est toi ?

Christ m’a regardée, étonné de me voir lever les yeux vers lui. L’homme était resté jeune malgré les vicissitudes mais il avait sans doute perdu l’habitude de tant de  sollicitude. Pas que la mienne fût bien grande, la pratique m’a manqué les deux tiers de ma vie ; le premier tiers, j’étais en construction ou dans l’attente, comme vous voulez… Cet après-midi-là donc, de ciel chargé,  je méditais sur les proportions inattendues de l’église de Sant’ Ambrogio à Cuneo, baroque, étroite et en bout de rue quand lui m’a surprise. Il avait envie de parler, Christ, en homme, comme moi, sauf que je suis une femme, bref c’est pareil en matière de croyance. Les yeux écarquillés, il m’interrogeait presque… 

« Tu es venue pour moi, tu veux qu’on discute, je t’ouvre ma porte, il y a si longtemps que je ne le fais plus. La rue est marchande et les gens se pressent, ils ne savent plus regarder le ciel ; pourtant, moi je suis à mi-chemin, tu sais. »

Non, je ne savais plus rien depuis qu’on m’avait dit qu’on l’avait assassiné mais que lui avait survécu. J’y avais cru jusqu’à vingt ans, puis je m’étais dit que l’homme ne devait pas être mort sous les coups et blessures, qu’il avait vraisemblablement  survécu aux mauvais traitements que l’on sait, bon an, mal an. Le reste, sa mère, sa tante, sa supposée épouse, tout ça ne me regardait pas. Mais lui à Cuneo s’était mis à m’observer jusqu’à ce que mon regard le croisât. Un bel homme qui ressemblait à mon docteur de l’enfance que je n’aimais pas pourtant à cause de ses piqûres. Lui, Christ, ne m’avait rien fait de mal, il m’interpellait juste ; sans doute que dans sa niche il s’ennuyait infiniment car plus personne depuis longtemps ne lui parlait ni ne le voyait. Là, plein d’humilité, il avait soudain envie de se divertir, alors, je me suis arrêtée pour de bon, je l’ai senti heureux, presque je l’aurais invité au bar le plus proche sous les couverts de via Roma ; puis j’ai pensé que ses siècles d’immobilisme l’auraient peut-être pétrifié, que ses pieds n’auraient pas pu avancer…Nous sommes restés là tous les deux à nous jauger sans rien savoir sur nos vies respectives. Il restait à nous découvrir, moi environ 15 ans en aval, lui l’éternité des livres qui savent. Entre nous la bonne volonté…

Elisabeth Fabre Groelly, Cuneo (Italie) 11 juillet 2020.

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