Elle agit la nuit, la garce; comme la mort et comme tous les traîtres de la vie. Il est une heure, puis deux, et un peu plus tard, toujours la nuit; on a tout essayé; rester debout, on ne le peut plus.
Le médecin de nuit nous pique, donne des consignes, parle de paralysie à vérifier. Comment on arrive à ce discernement, docteur? Il explique , pédagogue comme tous les médecins de nuit à la vocation que j’admire. L’effet? dans l’heure qui suit, avance-t-il. Regard sur la montre, vers 5 heures donc…On fait quoi dans l’intervalle? Ça va aller mieux, ne vous en faites pas, me dit l’homme de son sourire fatigué mais chargé de compassion tout de même car il aime l’humain, ça se voit. Heureusement qu’il y en a.
On se rendort, enfin on essaye; la traîtresse est là, trois heures après qui s’annonce de plus belle; on respire, on tend la main pour essayer de la dompter par un massage, on la regarde comme si notre oeil pouvait la maîtriser; dans le souvenir, les élèves , d’un simple regard de notre part, se calmaient. La douleur n’est pas une élève, elle n’en fait donc qu’à sa tête.
Au jour venu, on va hanter docteurs, pharmacies, l’hôpital, un ostéopathe… On est accompagné mais on sera seul. une autre nuit qui n’en finira pas. Appel aux urgences pour un conseil. Ne pas venir, passer un scanner d’abord… D’où vient la douleur, docteur?…De son laÏus, on retient, bien sûr, l’extrême: cancer des os…
On se recouche, les traits tendus, le corps défait. On compte comme comptaient nos vieux dans les bombardements, entre deux pilonnages. On compte comme pendant l’orage entre deux tonnerres. La douleur irradie, elle nous échappe, on la croyait plus bas, elle sévit plus haut. En vagues de plus en plus violentes, on compte encore et espère sur l’effet de l’ampoule et des cachetons absorbés. Elle s’éloigne, en cercles concentriques; on pense à Dante, à ses cercles de l’Enfer…Faut bien faire diversion en attendant qu’elle passe…
Mais, si elle se calme pour reprendre du souffle, elle sera là dans trois heures, aussi guillerette qu’un enfant qui a bien dormi. On pense aux accouchements qui sont loin dans le temps mais où la douleur était moins forte et puis celle-là passerait.
On se collette avec elle, avec les positions inconfortables qu’elle nous impose. On s’habituerait presque sauf qu’elle sévit n’importe quand, pas franche du tout. Nous déstabilise jusqu’à s’évanouir, de nausées en sueurs froides, de jurons en laisser faire…
Allongé dans le noir , on suit la lune qui nous encourage, on s’y accroche. Elle est parfaite comme sa nuit à elle. Et douce… Mais les nuits répétées sur le calendrier, les nôtres interminables, disent que la douleur s’est installée, la garce!
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