De vraies richesses…

Un 6 et un 7 octobre, entre deux épisodes de pluie, de celles qui nous font du bien. Tricoter différemment sa vie fait du bien aussi. En se frottant aux artistes qui nous recevaient à deux ou à trois dans leur maison, on s’est souvenu que vivre c’est aussi vibrer.

Le premier artiste, Bernard Varvat, nous accueille, souriant suivant son habitude. Il n’est nul besoin de poser des questions sur la provenance du marbre, son coût, sa difficulté à le trouver ; son rapport à lui, le marbre justement, Bernard nous en livre l’information, en pédagogue paisible, pour qu’on retienne plus que quelque chose. Puis c’est un peu de sa démarche de sculpteur que l’on pénètre, les croquis qui précèdent, le polissage qui suit, plus ou moins affiné pour que la lumière joue sur la matière. Les formes rondes d’il y a quelques années ont cédé la place à une géométrie calculée à fleur de pierre qui tente le risque à prendre sur l’arête. Bernard Varvat le prend et, avec lui, on apprend. Un choix personnel : la vertèbre-tête de renard en serpentine gris pâle mais aussi le bloc noir à peine essuyé qui sait déjà ce qu’il deviendra. Merci Bernard et merci à la douce personne qui le suit, son épouse Fabienne qui est aussi le contact de la manifestation.

Dans le jardin de Bernard, en haut, deux hommes du feu et du fer. Forgeron, quelle belle appellation. DDelucchi ( Dédé Lucchi?) l’a enseigné, cet art, et se désole, lui, que d’émules il n’y en a plus. Son copain et ami, sans doute, Ray, essaye là, sur le feu, de donner vie à une tige de fer. Lui y croit, c’est son art aussi ; se profilent autour de nous de belles grilles souples, devenues vagues et femmes. Deux hommes qui expliquent inlassablement la fougue qui est la leur car fougue vient de feu, n’est-ce pas ? Une adresse à ne pas égarer car Ray Lubrano del Amor (Ah ! l’amour …) n’est pas loin de chez nous ; à la Gavotte, je crois.

On quitte la Gardure et file chez Émile et Lilou. La manière de le dire fait penser à une guinguette, mais quand on y est on sait que c’est un atelier ; à l’ancienne…  c’est chez lui pourtant. Impasse Darwin. Émile Estève en blouse blanche est intarissable sur les techniques qui sont les siennes, sur ses pastels, des Schmincke qui ont une tendresse, une finesse, une beauté…mais je ne vais pas trouver le mot d’Émile… Alors on s’arrête sur la vague dont il vient de traiter la crête avec ce fard de pastel… On est subjugué. L’homme a invité son ami Jean-Louis Monfort et Huguette son épouse, tous deux artistes, sculpteurs e céramistes. Le Raku expliqué nous tient en haleine et les poissons que Jean-Louis a créés nous interpellent tant dans les couleurs qui se révèlent, après traitement, que dans la forme donnée par son auteur qui connaît la mer, toutes les mers. Beauté des pièces, accueil d’absolue gentillesse, petits biscuits faits maison, chouquettes et gâteau meringué au citron ; en somme, une traversée de l’après-midi des plus fascinantes. Nous sommes prises par la conjugaison de tout cela.

Un troisième atelier à l’autre bout de la commune, Sauvecanne, au fond d’un jardin animé de sculptures diverses, petites choses qui se cachent, animaux qui surveillent, femmes au repos, bois devenues bêtes pas idiotes. C’est, cette fois, chez Mady Zarifian. On ne sait pas où poser le regard, alors elle le sent et elle nous entreprend. Raku encore mais l’engobe change ; Mady travaille les gris et les bleus et elle nous parle également du choc thermique de cette technique qui laisse coi l’artiste lui aussi quand il découvre ses objets sortis du feu. L’émerveillement de Mady est communicatif et nous sommes séduites.

Mady a invité, elle, une créatrice de tableaux, tous étranges, réalisés à partir de collages, savamment disposés après découpage. Des scènes qui se révèlent surprenantes, envoûtantes parfois, terrifiantes d’autres fois. Bien sûr que Caravage ou Rembrandt traversent la toile mais l’univers créé taquine notre œil et s’adresse à nos songes personnels. L’artiste se sert abondamment de vieux livres colorés, aux caractères graphiques désuets. Sacrilège de découper de vieux ouvrages crieraient certains ! Christine Lopez les défend en leur donnant une nouvelle vie car ils sont sortis d’étagères ou de cartons ou de caves de salpêtre pour s’inviter à la fête de l’imagination. Hier, je fus Alice…Si, Si, souvenez-vous du pays des merveilles…

C’est l’heure du soir et le lendemain sera riche de futures découvertes. Et il l’est en effet.

D’un bout à l’autre de la commune, on se retrouve au chemin de Saint Hilaire, chez Élisabeth et Agnès Klefstadt, créatrices de mère en fille ; l’une est passionnée de raku, l’autre amoureuse des arbres ; les deux avant de caresser leurs pièces d’une grande finesse visuelle, nous racontent leur parcours. La mère, trente ans de travail et autant d’émerveillement, nous montre pas à pas les étapes du raku ; de la préparation du feu à son alimentation soutenue, de la couverture à la découverte de ce que sont devenues ses pièces… Huit heures de gestation et un final de surprise, toujours. Des éléments au toucher de soie, qu’une agate, puis une autre, ont poncés sans lassitude. La fille, Agnès, architecte de formation, privilégie le bois, sa découverture intérieure quand on le fend, ses veines. L’olivier est le plus surprenant ; son cœur est toujours excentré. La technique du bois brûlé attire dans l’objet fini grâce à sa patine qui ne s’altère pas si l’objet vit à l’extérieur. Les questions fusent, les visiteurs entrent, on se sent emmagasiner de vraies richesses.

Il y a un homme entre ces deux femmes, invité par elle, un artiste aussi : Patrick Andruet qui nous livre moins son passé d’architecte que son accident et ce qui en découla : une vision éclatée ; son image numérique (c’est ainsi qu’il la définit) n’a pourtant rien d’un produit sorti d’un ordinateur, mais d’un tableau où chaque plan va être fractalisé, agrandi, retréci, compressé pour arriver à une dentelle qui, selon la distance de l’œil se fait troublante ou immensément divisée. Ainsi ces deux ponts japonais où l’eau se déroule en cristaux, où le métal des arcs se déploie en aiguilles infinies qui s’interpénètrent. C’est Bowie aussi qui nous regarde des tous ses mystères, plus encore, prisonnier heureux de ce que l’artiste en a fait. J’opte, en partant et me retournant, pour le pont jaune aux dimensions de l’au-delà, enfin… de celui qu’on décide qu’il sera.

Je dédie ma réflexion sur ces œuvres d’artistes à mon amie Agnès Blasquez qui se faufile partout entre nous… Dis-moi que  tu veilles,  ma belle, sur ce monde qui fut le tien, n’est-ce pas?

Élisabeth Groelly

Bouc-Bel-Air, les 6 et 7 octobre 2018.

Manifestation La route des Arts. Ateliers portes ouvertes.

 

IMG_1209IMG_1198IMG_1196IMG_1204eldaMG_1206aquarelle esteve _DSC7215

* Pastel Émile Estève. Photo:JC.Lenaersemile estève vagueIMG_1212IMG_1216IMG_1225-1IMG_1224IMG_1246IMG_1245IMG_1241IMG_1236IMG_1232