Les macarons                                                                                                 

Il m’observait, c’était un samedi. Depuis janvier, nous nous trouvions  côte à côte,  toujours vers  huit heures,   dans la pâtisserie de la rue des Diamantaires. Lui devant et moi derrière ou, lui derrière et moi devant. Ce matin, il avait osé.

–  Je prends toujours ceux aux pistaches ; je vous offre un café et un macaron? Venez ! 

Mon esprit paresseux d’ordinaire a travaillé trente secondes. Pourvu que j’arrive au cours de russe dix minutes avant le début de la leçon ; pour réviser un peu… La  vie m’avait portée dans tant de situations semblables. S’abandonner au temps qui ronge notre quotidien, je m’étais dit au fond,  ce n’est pas très difficile. J’ai refait ce matin  la démarche que j’adoptais adolescente, puis femme –fleur dans l’âge ; celle aussi de la maturité où je me débats encore. Se laisser porter par la découverte, l’aventure ou la curiosité. Mes petits plaisirs égoïstes.

Cette année, j’ai essayé la nouvelle tactique qui consiste à dire oui à un maximum de situations  car, franchement, c’est immatériel, à plus de soixante ans, de faire la midinette en cavale ; vivre enfin à 200 à l’heure, comme quand… Mon cours de russe pourrait bien attendre…

Le monsieur, délicieux dans ses rides et qui me regardait sous ses paupières lasses, entreprit de me parler de la chapelle des pénitents, toute proche. De pénitents, ceux-là n’en avaient que le nom. Le temps avait rongé les piliers de la travée, mais les scènes  de plaisir, il n’avait pas pu les effacer complètement ; les photos polaroïd, que l’homme me tendait, parlaient d’elles-mêmes !

  • Voilà pourquoi, Madame, je vous ai offert ce moment ; il est un délice ; le temps ne l’a pas encore englouti et nous sommes, pas pour longtemps encore, bien vivants. Seize the day! (Tiens, tiens, lui aussi avait été prof’ d’anglais ?) Il se pencha vers moi comme pour me confier un détail d’importance. Une mélodie d’une autre époque montait, qui titillait mes sens en éveil :

…L’amour est un bouquet de violettes, cueillons, cueillons, cueillons ces fleurettes…