Sur la traduction du livre de Sandra Passerotti: Non bestemmiare il tempo/ Le temps ne se profane pas!

Allez, debout !

Écrire est une démarche lente. Un jour, vous comprenez que tout va trop vite. La course. Toutes les courses. L’étourdissement. Le divertissement.

Traduire en est une autre, urgente et nécessaire. Après l’éblouissement d’une rencontre*.

Née en 1949, j’aurais pu écrire sur Don Lorenzo Milani car j’avais l’adolescence de ses élèves au même moment où ils la vivaient. Mais j’étais une fille française, d’un petit village de Provence où la communale rassemblait tous les enfants. Fils de paysans et d’ouvriers ; fils d’immigrés, italiens et espagnols surtout ; fils d’allemands ayant épousé, après la guerre, une française ; enfants aussi rentrant de l’Algérie, de la Tunisie et de l’Afrique de la colonisation française. Nos maîtres étaient les descendants des hussards noirs de la République[1] aux valeurs inoxydables. Durs et intransigeants.

Puis, la référence immédiate à THE WALL[2] que fut ensuite le « lycée-moule » de la ville proche qui attendait de nous uniformiser, nous préparant, sans l’anticiper, à la rébellion que l’on sait, à la fin des années Soixante.

Dans l’intervalle, avaient « sauté en route », les petits « moins doués », ce qui restait à vérifier, ou moins dotés par les parents et l’entourage. À 14 ans, à cette époque, ceux-ci, filles ou garçons, le certificat de fin d’études en poche, devenaient apprenti-e-s. Je pense fortement à mon ami de toujours, Pierre Calès, né en 1948 et qui nous a quittés l’an dernier. Il avait « choisi » d’être maçon et d’entrer chez les Compagnons du Devoir[3]. Quand on demandait : C’est quoi M’sieur, un compagnon du devoir ? On entendait les trois mots suivants : les bâtisseurs de cathédrale… un fond d’admiration dans la voix de leur auteur. Pierre, maçon toute sa vie, n’avait pas aimé l’école ; il le lui avait dit. Aucun intérêt à ses yeux pour des choses inutiles, dérisoires et souvent spécieuses. Il avait opté toute sa vie pour la « résistance » ; son frère aîné, Résistant, lui, était mort en 1944…

Mon ami Pierre avait l’intelligence vive et une grande connaissance des textes essentiels : La Commune, Hugo, Jaurès et les auteurs russes magnifiques ; une intelligence vive, j’insiste et une connaissance aussi des choses de la vie dans tous les domaines : l’avancée des sciences, l’histoire des hommes, de ceux qui minuscules mais grands dans leur âme et des autres : de ceux que l’on appelle grands qui s’agitent sur la scène, toutes les scènes politiques ou médiatiques, mais hommes minuscules dans leurs manifestations pitoyables, au final… Mon ami Pierre, s’il avait rencontré Don Lorenzo Milani- car tout est question de rencontre-, se serait réconcilié avec les « calotins »[4], enfin, du moins avec lui, Don Lorenzo, parce qu’il était un prêtre « dépoussiéré » et surtout un Homme !

Pour la même raison, je me suis mise à traduire le livre de Sandra Passerotti, la femme de Fabio Fabbiani, né en 1949 comme moi. La première lecture que j’en avais faite m’avait interpellée ; j’avais devant moi une communauté d’enfants conduite par un curé qui les aimait au point de les appeler ses fils, ce qu’il dit d’ailleurs un jour au père de Nevio Santini[5]: À compter d’aujourd’hui, ton fils deviendra mon fils . Un prêtre qui les faisait travailler différemment, comme à Summerhill dont je parlais beaucoup à mes élèves de collège alors, comme d’un idéal que j’avais pour eux, mais complètement irréalisable dans notre petite France. Travailler différemment et réussir son temps d’élève qui doit laisser de bonnes traces, lesquelles traces se distilleront sur la vie adulte qui leur sera impartie ; un peu comme le dit le proverbe chinois qu’on apprenait volontiers: Donne à manger à un homme, il vivra trois jours. Apprends –lui à pêcher, il vivra toute sa vie.

Tant il est vrai que ce qui n’est pas ruminé par soi-même, n’est pas nutriment de bonne qualité.

J’ai relu le livre affectueux et vrai, au titre difficile de Sandra et j’ai voulu le faire lire autour de moi et là, je n’ai pas pu : il était écrit en italien. Alors j’ai commencé à le traduire.

Il reste de cette aventure, plus qu’un exercice qui prend du temps, beaucoup de temps, un sentiment de plénitude ; car la vie, LES vies, dont on parle avec ses mots français, prennent une dimension, revêtent une épaisseur ou se chargent d’une intensité telle, qu’on vit véritablement avec les petits de Barbiana, dans leur classe jusque très tard le soir et commençant très tôt le matin, on s’assoit parmi eux et on se prend à attendre ce que va nous dire le Père, et ce qui va arriver aujourd’hui dans ces lieux retirés de la campagne toscane et montagnarde d’un temps. À Barbiana dans le Mugello, au Nord de Florence et de Fiesole, si près de ces belles italiennes.

J’enrage quand le mot français ne dit pas toute la nuance du terme italien. Don Milani m’aurait poussée à chercher encore, m’aurait persuadée qu’il me fallait trouver, qu’il y a toujours une voie.

Il y a enfin, au tréfonds de ce qui n’est pas tangible et même si les témoignages, courts et sensibles en sont pétris, l’émotion…

Cet état vous tenaille et vous savez bien pourquoi…

La voix convaincue et convaincante de Sandra, la justesse de ce que Fabio lui raconte et se vit au fil de leurs pages, l’authenticité de l’expérience et la droiture en même temps que la personnalité de Don Lorenzo Milani. C’est tout cela.

Je me suis glissée autour de la grande table de Barbiana et j’ai dit à voix basse : « Pousse- toi, Fabio ! Fais-moi un peu de place, Nello ! Je suis des vôtres, dai ![6] »

Élisabeth Fabre-Grœlly. Bouc-Bel-Air, France. Août 2018.

* Livre écrit en italien : Fabio Fabbiani : NON BESTEMMIARE IL TEMPO. L’ultimo insegnamento di Don Lorenzo Milani. A cura di Sandra Passerotti. Con contribuiti di Francesco Gesualdi e Andrea Bigalli. Edizioni

[1] Les Hussards noirs de la République étaient les instituteurs sous la IIIe république française (1870-1940) qui étaient habillés de noir.

[2] Pink Floyd The Wall. Film de Alan Parker et Bob Geldof.1982.

[3] Les compagnons du devoir, un héritage du compagnonnage, basent leurs objectifs sur le travail bien fait, et leurs savoir-faire qu’ils partagent en communauté. Ils mettent l’accent sur le voyage et l’ouverture culturelle.

[4] Péjoratif : un calotin est quelqu’un qui défend le clergé, un dévot.

[5] Non bestemmiare il tempo, page 151*

[6] Dai ! L’équivalent de Allez !

Alzati e cammina…

Scrivere è camminare lentamente. Un giorno, capirete che tutto vola. La corsa. Ogni corsa. Lo straniamento. Il divertimento.

Tradurre è un’altra forma di cammino: pressante e essenziale. E segue la magia di un incontro*.

Nata nel 1949, avrei potuto scrivere su don Lorenzo Milani perché attraversavo l’adolescenza dei suoi scolari proprio quando loro la vivevano; ma ero una ragazza francese, di un paesino della Provenza, dove la comunità accoglieva tutti i ragazzi. Figli di contadini e di operai; figli d’immigrati, specialmente italiani e spagnoli; figli di tedeschi che, dopo la guerra, avevano sposato una francese; ancora: ragazzi che arrivavano dall’Algeria, dalla Tunisia e dall’Africa delle colonie francesi. I nostri maestri erano i discendenti degli ussari neri della Repubblica1, dai valori granitici. Rigidi e inflessibili.

Eppoi, inevitabile, il riferimento a THE WALL2 che divenne la “scuola-fortezza” della città vicina che, senza volontà di anticiparla, ci stava formando alla rivolta che conosciamo della fine degli anni sessanta.

Nel frattempo, avevano “saltato il fosso” i piccoli “meno dotati” – e questo era tutto da verificare – o meglio, i meno fortunati a causa dei genitori e dell’ambiente. A14 anni, in quell’epoca, proprio questi ragazzi, ottenuto l’attestato degli studi obbligatori, diventavano apprendisti. Ho nel cuore il mio amico di sempre, Pierre Calès, nato nel 1948 e che ci ha lasciato l’anno scorso. Aveva “scelto” di fare il muratore e di far parte dei Compagnons du Devoir 3. Quando gli veniva chiesto: Cos’è dunque un artigiano del dovere? venivano pronunciate queste parole: i costruttori della cattedrale… l’espressione di un’ammirazione profonda nella voce di chi le enunciava. Pierre, muratore per tutta la vita, non aveva amato la scuola: glielo aveva detto. Disinteresse completo per il superfluo, l’insignificante e, non di rado, il superficiale. Tutta la sua vita era stata “resistenza”; il fratello maggiore, Resistente, era morto nel 1944 …

Il mio amico Pierre aveva l’intelligenza acuta e una grande conoscenza dei testi fondamentali: La commune, Hugo, Jaurès e gli straordinari autori russi; e insisto sulla sua intelligenza acuta e aperta e anche sulla sua conoscenza delle cose della vita in ogni sua forma: i progressi scientifici, la storia della gente, di quegli sconosciuti piccoli esseri ma grandi nell’anima e… degli altri: di quelli che vengono considerati grandi, perché animano le scene – ogni scena politica o mediatica – ma uomini minuscoli, inconsistenti, nel loro essere patetici, alla fine… Il mio amico Pierre, se avesse incontrato don Lorenzo Milani – perché proprio di incontri si tratta -, si sarebbe riconciliato con i “calotins”4, magari soltanto con lui, con don Lorenzo, perché era un prete “delle origini” e soprattutto un Uomo!

Per la stessa ragione, ho cominciato a tradurre il libro di Sandra Passerotti, la moglie di Fabio Fabbiani, come me nato nel 1949. La prima lettura fatta mi aveva coinvolta; mi trovavo di fronte a una comunità di ragazzi guidati da un parroco che li amava così tanto da chiamarli suoi figli, proprio quello che dice un giorno al padre di Nevio Santini5: A partire da oggi, tuo figlio sarà anche mio figlio. Un prete che li faceva studiare in maniera diversa, come a Summerhill – di cui parlavo a lungo ai miei scolari, come di un obiettivo che mi ero prefigurato per loro, ma del tutto irrealizzabile nella nostra piccola Francia. Studiare appunto in maniera diversa e, proprio del tempo della scuola, lasciare tracce significativamente indelebili, tracce che si sarebbero dipanate nella vita adulta e che avrebbero ritrovato giorno dopo giorno; quasi come il proverbio cinese che ci fa piacere conoscere: Dai da mangiare a un uomo, e vivrà tre giorni. Insegnagli a pescare, potrà vivere una vita intera.

E’ così vero che assomiglia al nostro proverbio che dice: Chi fa da sé fa per tre, a significare che senza impegno e consapevolezza non potranno esserci frutti duraturi.

Ho riletto il libro tenero e vero di Sandra, dal titolo difficile, e ho desiderato farlo conoscere alla mia comunità, ma non mi è stato possibile perché era scritto in italiano. Per questo ho iniziato a tradurlo.

Di questo viaggio, piuttosto che un esercizio che richiede tempo, molto tempo, mi resta un senso di pienezza; perché la vita, LE vite narrate con la lingua francese prendono consistenza, assumono spessore o diventano talmente intense che si arriva a vivere davvero con i ragazzi di Barbiana – nella loro aula fino a notte pur avendo iniziato presto, molto presto di mattina – ci si siede in mezzo a loro e si aspettano le parole del Parroco e quello che, attualmente, sta succedendo in queste zone remote della campagna toscana, un tempo contadina. Nel Mugello di Barbiana, a Nord di Firenze, così vicino alla bella cittadina italiana.

Mi arrabbio quando la parola francese non rende la sfumatura del vocabolo italiano. Don Milani mi avrebbe spinto a non fermare la mia ricerca, mi avrebbe convinta che dovevo ancora cercare: esiste sempre un’ altra possibilità.

E c’è anche, nel profondo dell’intangibile, benché le testimonianze, brevi e delicate, ne siano piene, l’emozione …

Questa condizione vi afferra e conoscete bene il motivo …

La voce convinta e convincente di Sandra, la giustezza di ciò che Fabio le racconta e che si respira pagina dopo pagina, l’autenticità dell’esperienza e l’onestà e la personalità di don Lorenzo Milani. Questo è tutto.

Mi sono intrufolata attorno al grande tavolo di Barbiana e ho sussurrato: “Ehi Fabio, forza, spostati! Fammi posto, Nello! Sono dei vostri, dai!6

Elisabeth Fabre-Groelly. Bouc-Bel-Air, France. Août 2018.

 

*Libro scritto in italiano: Fabio Fabbiani: NON BESTEMMIARE IL TEMPO.

L’ultimo insegnamento di don Lorenzo Milani. A cura di Sandra Passerotti.

Con contributi di Francesco Gesualdi e Andrea Bigalli. Edizioni Dissensi.

 

1 Gli Ussari neri della Repubblica erano i maestri della III repubblica francese (1870-1940), vestiti di nero.

2 Pink Floyd The Wall. Film di Alan Parker e Bob Geldof -1982.

3 Gli artigiani del dovere, eredità dell’artigianato, partono dal lavoro ben fatto e condividono nella comunità le loro competenze. Si focalizzano sul viaggiare e sulla mentalità culturale aperta.

4 Peggiorativo: un calotin è chi difende il clero, un credente.

5 Non bestemmiare il tempo, pag. 151*

6 Dai! Equivale a Allez!