« Marseille, tais toi Marseille, tu cries trop fort,

Je n’entends plus claquer les voiles dans le port »[1]

 

Elle arrive sur le quai en chantant, sans se préoccuper des autres voyageurs . Un texte ancien de Colette Renard ; elle ne sait pas si c’est le bon quai mais elle dépose son sac à dos ; elle regarde tout autour, s’assied et tire de sa poche une lettre froissée. Elle la relit.

 

_« Viens ! Reviens !

J’ai guetté le courrier toutes ces années, en vain…Tu ne l’as jamais su, mais… je suis une bête fidèle. Bien sûr mon âge a dû jouer ; plus de 25 ans entre nous, ça sépare un jour. Tu disais que tu étais bien avec « les cabossés de la vie » mais, t’avais besoin de les cabosser un peu plus ?

Christian s’est engagé, jamais revu, j’ai un pli pour toi. Vassil a fait comme toi, la route ; il voulait te retrouver ; un soir, on a parlé longtemps, de la tienne, de ta soif ; il savait où tu arriverais et il te croiserait dans un pays sans mer puisque tu ne l’aimais pas, la mer, noyée de l’enfance que tu étais ; il savait par cœur Gide, pour toi, par toi :

«  Nathanaël, je t’enseignerai la ferveur… » Et tu l’écoutais. Un autre toi-même.

Richard aussi… Ton fiancé de la communale avait repris la conque du grand père Polonais. Le vieux disait :  « Petit, écoute la mer, va la voir, la toucher, descends toujours vers elle. » Les migrations du dernier siècle avaient rejeté sa famille sur les quais de Marseille. Votre maître savait que Richard se faisait toujours punir à ta place, pour te préserver des coups de règle. Le garçon te suivait partout. Il espérait… Puis son trip s’est écarté du tien.

Et Slim…Du troisième étage, à l’heure de midi, à celle du grand chagrin…Pas ta faute bien sûr mais un peu quand même ; t’as appris la nouvelle?

Tu sais que le métro maintenant te mènera presque chez toi, chez nous. La vieille Chapelle, Bonneveine, l’école du lapin blanc de ta mère, rue Joseph Vidal…Tu n’as rien effacé au moins ?

Il y a quelques années, j’ai rencontré ton fils ; Au comptoir du bistrot d’en face, comme ça. Il m’a dit qu’il étudiait à Marseille ; il y avait un studio.

« Tonio, tu peux mener le petit chez Paul, au 120 ? »

Il voulait voir où tu étais née; Lui aussi cherchait ta rue.

Seulement ta rue ?

Marseille s’est tue pour toi il y a trop longtemps, mais dans le silence des années gaspillées, nous n’avons jamais cessé de t’attendre.

Viens, Lisa, reviens, moi aussi je te guette tous les soirs quand Marseille s’endort.

Je n’ai pas pris froid au cœur…Tonio »

 

Elle froisse la lettre, se lève et risque la question :

« Pour La vieille chapelle, c’est la bonne direction ? »

 

efg 2010

 

[1] Marseille. Colette Renard