Jadis, c’est à dire un jour d’ il y a longtemps, quand il neigeait beaucoup dans les campagnes et qu’en ville, à Noël, le ciel descendait sur la tête des gens, Brunette avait reçu un cadeau, un seul, un manteau. Gris-bleu, doux avec des boutons et un col de velours noir qui ressemblait à un grand rat allongé.
L’enfant s’appelait ainsi depuis qu’elle était née très brune de cheveux et très pâle de complexion.
Le manteau, dans une boîte immense, longue, très longue, avait été déposé là par le père Noël dans la belle nuit étoilée et froide. Le bonhomme, quoique pressé, avait pris le soin de disposer la boîte longue, très longue, en hauteur contre le mur de la grande salle-à-manger de sa grand-mère. La petite avait dit le matin que ce n’était pas un vrai cadeau parce qu’il n’ y avait pas de nœud ni de papier de Noël ; seulement un dessin au charbon de bois qui représentait un manteau, sans la couleur de celui qui était dans la boîte. Et soudain, la boîte s’était affaissée, de chagrin peut-être et, comme si une lente neige s’était mise à tomber sans jamais s’arrêter, la fillette avait vu la boîte se dissoudre. Le manteau gris-bleu, aux beaux boutons, dévoilé, s’était levé, s’était secoué des derniers émois et l’enfant l’avait pris dans ses bras pour l’emporter, sans mot dire, dans sa chambre, là-haut sous les toits. Brune, tu oublies la lettre ! avait dit une voix qui n’était celle d’aucune des personnes présentes autour du sapin car celles-là avaient continué à défaire les cadeaux. Non, c’était une voix aigrelette et lointaine que l’enfant ne connaissait pas, une voix qui insistait ; Il ne faut pas que tu oublies la lettre, tu sais !
Brune l’oublia pourtant. Elle mit le manteau gris-bleu et vit dans la longue glace ancienne du fond du couloir qu’il n’était plus gris mais blanc avec un col de fourrure de lapin bleu foncé, ces grandes bêtes de Vienne qui lui plaisaient tant quand l’oncle Bernie l’emmenait au jardin d’hiver. Oui, un col en fourrure de lapin bleu et une belle toile claire épaisse comme une eau prise dans l’embâcle ; un vêtement qui couvrait bien les genoux sur ses bas de laine bleu pâle. Brunette n’aurait plus froid…
Sans demander la permission de le faire, elle sortit au jardin, puis ouvrit le portillon qui donnait sur le sentier du lac. Elle irait voir les cols verts au bas de la rive et elle n’aurait plus froid comme dans sa pèlerine où le vent s’engouffrait toujours. Le lac était gelé par endroits mais pas aux abords du petit pont dont papa disait qu’il n’était pas solide.
Le manteau de toile blanche au joli col de lapin bleu fut retrouvé par Tom, qui passait par là. Il regarda autour pour rechercher une petite fille, peut-être Brunette, qui sait, mais il ne vit rien. Seulement les cols verts qui s’étaient réunis et s’ébrouaient en longs cris languissants, leur cri profond des jours d’hiver où la vie a atteint son niveau le plus bas.
Le manteau dans les bras, il alla taper chez Brunette pour lui souhaiter un joyeux Noël et parler de leurs cadeaux. Il savait éviter les parents de son amie et tous les cousins ennuyeux qui se pressaient toujours dans la belle maison aux trois pignons. Il passerait par derrière, il le faisait habituellement car il savait comment accéder directement à la chambre de Brunette. Il ne tapa pas car il entendit à l’intérieur de la chambre une voix agacée et aigrelette qui se plaignait un peu. Il comprenait que la petite-fille n’était pas seule; il en fut vexé mais il entra. La chambre était vide pourtant et il s’en retourna. La voix reprit qui disait n’oublie pas la lettre, il faut la prendre, tu sais !
Alors il la vit.
Pas la petite-fille, mais la lettre qui n’avait pas été ouverte. Il défit délicatement l’enveloppe minuscule. Il en retira une carte postale, avec, au dos, une phrase imprimée et une autre encore, écrite d’une main qui avait tremblé. On avait rédigé maladroitement quelques mots.
Ne l’enlève pas ce manteau, surtout pas quand il fait froid et qu’il y a de l’eau autour ; il te protège du temps mauvais et du reste peut-être…
Sur la face principale de la carte, il y avait une petite-fille à la jolie queue de cheval qui tournait le dos et regardait le lac. On était en hiver puisqu’elle portait un manteau bleu-gris sur lequel on devinait un col de velours noir. Tom y retrouvait son amie et il était heureux. Il tournait et retournait la jolie photo-carte. Un détail imprimé lui avait échappé. 1954. Boubat. Il ne connaissait pas ce nom mais la petite fille était là sur le pont et il savait qu’elle reviendrait et se retournerait bientôt pour s’adresser à lui, rien qu’à lui, car les enfants savent se parler et ils s’écoutent même.
Et soudain, Tom crut entendre la petite, essoufflée, qui rentrait; elle avait dû avoir froid, très froid et peur, très peur ; de l’eau qui bouillonnait, des canards querelleurs, du petit pont fragile qui brimbalait dans le vent… Il était le seul à qui l’enfant parlait déjà ; du beau manteau blanc à la fourrure de lapin bleu de Vienne qu’elle avait reçu à Noël, dans son emballage, long, très long, appuyé sur le mur tout près du sapin…
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Éfg, décembre 2017
3 janvier 2018 at 8 08 27 01271
Bellissimo racconto, Elisabeth! Quando ci sentiamo? Un abbraccio
Inviato da smartphone Samsung Galaxy.
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