Quatre heures. Ma conscience me regarde. Elle ne regarde que moi. Elle expédie les mots parlés, ailleurs.

Ailleurs, les amorces de dialogue, les doutes formulés, les appels de détresse…

Elle s’intéresse à ce qui ne s’en va pas, indélébile et appuyé comme le A majuscule et cramoisi de la faute de Hester Prynne*. À la différence de cette lettre, on ne la voit pas de l’extérieur, mais elle n’est pas paisible pour autant. Elle est là qui cogne, ravivant les entailles ou les manques du parcours. Alors, elle vient se coucher, vivre son trip sur la page. Vous savez bien le fameux flux et reflux de notre rédaction d’enfants, puis celle de l’examen ou les mots viennent en paquets, là, sales et débraillés et qu’on ne va pas gommer dans l’urgence ; puis, l’instant d’après plus rien, mais rien…

Voilà que ça recommence, l’urgence. Ils tombent, les mots, pas jolis du tout. Douloureux, ils saignent. Ils pleurent et l’on ne sait pas comment les égayer.

Au fond, c’est ça, écrire.

Les gouttes du stylo enrhumé, que le coryza de la vie choisit comme messagères. Elle était prévisible, cette déverse. Les points névralgiques des soirées qui n’en peuvent plus, le resserrement somatique qui grince comme une vieille porte, ses joints qui suintent parce qu’ils ne se lubrifient plus ; Le soutien du bocal craque dans ses vertèbres figées sous les atteintes. Tout est grippé et depuis longtemps. On se souvient des cours d’anglais où le vocabulaire de la plainte des choses s’enregistrait ipso facto sous les bruits du magnéto du prof ; creaking doors, leaking roof, whining hinges, hissing rain**

Je suis les choses.

Dis, Dieu du dessus, on naît comme ça ?

Alors je fais quoi, maintenant ?

De réponse, aucune, bien sûr ; lui est aussi paumé que moi.

L’écriture s’affiche qui fait fi de ces questionnements, elle roule sa bosse et ça pleure dur. Ça fait peur,  mais il le faut ; on ne vit pas, calme ni serein. Roule ta bille, ma fille- écriture, c’est ça ; crache du feu, dessine des idées qu’on ne pourra pas relire, des mots déformés comme de vieux oliviers et qu’il faudra caresser pour qu’ils se livrent ; «  bien fait pour toi ! » ; des emprunts aussi se glissent dans les failles de la phrase parce qu’ils semblaient plus doux chez les autres. S’ils ont souffert, les autres, c’était avant ; pas en même temps que nous. La distance est aménité.

Puis il y a eu cet autre moment, fort comme un galet étrange lancé depuis on ne sait où, douloureux comme une décharge. Pour le retenir, ce moment, en distiller ses effets plus longtemps, on rouvre le cahier et puisqu’il sent l’usure et le besoin, on enfouit là, de nouveau, sa joie ou sa misère.

Personne dans notre dos ne copiera ce qui s’écrit. Les gens ont peur des mots comme ils ont peur des autres ; et puis des examens, ils en ont trop passé ; la réponse, trichée, ne les intéresse plus. Personne pour les noter désormais…

C’est comme ça qu’on est seul, scoliotique effréné sur sa page.

Seul à écrire…

Notes :

  • La lettre écarlate. Nathaniel Hawthorne.
  • Portes qui grincent, toit qui goutte, charnières qui couinent, eau qui siffle.