Il a posé sur moi un regard délavé… lessivé, j’ai pensé.
S’y dessinaient mille abandons, d’infimes lâchetés, de tristes trahisons.
Il dévoilait, ce regard, toute l’impuissance et toute la désespérance du monde.
Il a posé sur moi un regard délavé, a porté sa main à mon épaule, amicalement mais lourdement, en appui, en soutien, et il a murmuré :
« Quand je regarde les hommes… »
Puis il s’est tu… À quoi bon continuer ? Il n’est jamais besoin de mots pour dire l’essentiel ; le fil ténu de l’émotion se rompt aux engrenages de la phrase et la beauté se froisse à se livrer sur la page, aussi bienveillante, aussi attentive soit-elle.
Puis il s’est tu et… et il s’est envolé, je veux dire son regard. Il s’est animé soudain – non, animé n’est pas le mot exact – plus précisément il s’est ré enchanté, a retrouvé, l’espace d’un instant, l’éclat de l’innocence tandis qu’il fixait un point derrière moi, au-dessus de ma tête. J’ai ressenti comme une gêne à être là, en hypothétique obstacle, mais il m’avait oublié. Il n’a pas souri, non, ça, il ne savait plus, mais il y a eu sur son visage une ondée de bonheur, fraîche, simple, primaire, infiniment touchante.
Son regard toujours planté au ciel, il a dit – doucement, car il se parlait à lui-même, et je n’existais plus – simplement il a dit :
« Heureusement, il y a les oiseaux. »
Puis à regret, en souffrance, il a regagné la terre, a repris conscience de ma présence. C’était douloureux bien sûr, il a essayé de ne pas le montrer, mais son regard l’a trahi. Un regard délavé… lessivé, j’ai pensé.
Christian Duneau.
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