Un pas, deux pas et puis les autres. Vivre… Les premières fois, on avance emprunté, attentif, étranger. Une crainte qui vient des grands fonds aqueux où l’on baignait au chaud ; on sentait bien toutefois que ce bonheur fermé on le perdrait un jour, et on l’a perdu au jour suivant. Alors, on se méfie. Ainsi sont les enfants au début. Et à la fin de leur temps de grand aussi. La plus grande est d’abord précautionneuse, on lui a dit tant de fois de regarder partout, mais un enfant veut voir et le danger ne se voit pas. La petite fille le sent plus qu’elle ne l’imagine ; une sensation pourtant qu’il est là, tapi, le danger, qu’il peut surgir à tout instant. Ou pas. Elle l’attend pour ne pas être surprise ; sous quelle forme il est, le danger ? Elle n’en a pas la mémoire, elle ne l’a pas connu, pas encore. La petite observe. À gauche, il y a la place …Qui vient ? L’enfant regarde bien, tente un regard au loin ; elle n’a pas perçu, à droite, le panneau qui interdit de rester là ; normal, elle ne sait pas encore lire. Au fond, elle aperçoit la flèche qu’elle cherche toujours quand elle est assise en voiture ; « il faut aller par-là », elle le dit. Elle n’a pas appris l’ordre de marche, seulement celui de la classe : on se met en rang, deux par deux ; inconsciemment elle a reproduit l’ordre : deux par deux. L’ordre… On ne lui a pas dit qu’il se transgresse, qu’il s’oublie, que l’homme passera ailleurs, s’il en a envie. Canalisée, le bout’chou ; un mur à gauche, un mur à droite. Elle n’a peut-être pas peur, elle avance, il le faut ; et puis sa sœur est encore plus petite qu’elle ; elle a besoin d’elle, de son attention, de sa force de grande. La toute petite a confiance, on lui tient la main. Si elle se retournait, on saurait qu’elle a en bouche sa sucette de bébé. À quoi bon l’enlever ? Elle savoure le plein-être des premiers âges. Leur père, ou plutôt leur oncle avait un T-shirt à leur âge orange bien vilain où Grand-mère avait brodé une recette du bonheur avec Snoopy qui disait que ça consistait à avoir son pouce et sa couverture. HAPPINESS IS HAVING A THUMB AND A BLANKET Comme un geste antique, répétitif, que chaque individu en voie de formation répétait, la teu-teu et le dou-dou qui, avant, s’appelait le pouce et le petit mouchoir. La bébée chemine sans se poser de questions ; dites, à quoi on pense quand on se sent guidé ? À rien dans l’instant de cette ville pleine d’interdits, d’impératifs et de petits pièges invisibles… Elle ne peut pas apercevoir ces filles qui sont devant, très loin et que la vie a fait grandir avant elle ; qu’elle a abimées aussi, un peu quand même… Les filles, les quatre, vont dans la même direction, s’enfoncer dans le mystère de la ville sombre où l’on apprend à consommer, à se frotter, à se répondre, à se perdre aussi. Pour les petites, c’est pour tout- à- l’heure, c’est à dire pas encore… il reste un peu d’enfance pour quelque temps à venir. Mais elles ne le savent pas qu’il leur en reste un peu, puisqu’à elles deux, elles sont l’ ENFANCE…
erbanocca
Je veux qu'on soit sincère et qu'en homme d'honneur, On ne lâche aucun mot qui ne vienne du coeur! Nommez-le fourbe, ingrat ou scélérat maudit, Tout le monde en convient mais nul ne contredit Et s'il est par la brigue un rang à disputer, Sur le plus honnête homme on le voit l'emporter. Tête-bleu, ce me sont de mortelles blessures De voir qu'avec le vice on garde la mesure! Molière. Le Misanthrope. Alceste.
Un commentaire sur “Enfances…”
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28 septembre 2016 at 8 08 18 09189
C’est une très belle vision de l’enfance… ton enfance !
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