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Avec un nom pareil – pardon, mon père – j’allais, me semblait-il, me le prendre sur chaque chemin emprunté, le râteau.

Alors, j’ai changé des lettres, puis la première lettre seulement ; je suis passé par Watteau, bateau, gâteau… et gâteau, je suis resté.

Le forum s’appelait comme moi désormais : gateau.com, sans chapeau ; j’ai décidé d’aller y faire un tour ; d’avouer qu’un jour, je m’appelais Râteau mais qu’il y avait de cela, longtemps.

Je l’ai dit pour me purger, pour expier ma faute.

Une réponse, une autre ; beaucoup de mères de famille qui voulaient des recettes ; moi, de recettes, je n’en avais pas. Et je me suis pris un autre râteau. Sans compter ceux qui suivirent…

Râteau, faut que tu réagisses, je me suis dit.

Alors j’ai trouvé ce forum : Réveille-toi… Non, pas dit comme ça, bien sûr ; un forum, c’est point.com, toujours.

reveille-toi.com

Me plaisait, ce forum… reveille-toi.com

J’ai déposé là deux alertes de type:

Me suis pris trop de râteaux, je m’appelais Râteau, j’ai changé, suis devenu Gâteau ; si vous avez fait pareil avec un nom à coucher à l’appentis, je suis là. Répondez à gateau.com 

Je ne croyais pas au changement des choses ni des gens, mais je me suis senti moins bête en investissant ce forum.

reveille-toi.com. Tout un projet ! Un peu catho dans la première idée, mais pas trop.

C’est alors qu’un autre pseudo s’est faufilé.

chaperonrouge.com

Que cherchait Chaperon ? J’étais méfiant.

Je risquais, candide, un truc banal :

Un gâteau de crêpes, pour ta grand-mère, pour changer un peu, ça te dit ? 

Histoire de proposer mon aide. J’aidais les enfants, les vieux, les déglingués, pourquoi pas Chaperon rouge avant qu’on l’engloutisse ?

Mais, c’est que Chaperon a répondu ! Pas pour sa grand-mère, mais pour moi.

T’apportes tes crêpes ; moi j’ai le sucre et l’érable ; on met en commun, ça te va ?  

J’ai eu peur soudain du traquenard ; qu’elle m’éperonne, Chaperon, pour mieux me chaperonner. Je sentais venir le râteau…

J’ai répondu qu’on n’était qu’en Novembre et que la Chandeleur était loin, et que peut-être Gâteau serait mort d’ici là.

Chaperon n’a pas tardé. Elle semblait d’accord…

Faut du temps au temps, a-t-elle écrit, c’est ce que dit Grand-mère. 

Ça m’a bien plu alors de devoir attendre. Après les explications nécessaires, vous savez ça, de la préparation de la pâte ( farine de froment seule ? ou avec maïzena ?), en passant par la confection des crêpes ( beurre ? huile de tournesol ou d’arachide  bête?) au montage du gâteau ( nombre de crêpes empilées ? soupçon de gras entre les fines couches ou pas ? fleur d’oranger ou rhum, comme parfum ?)

Après tout ce rituel, il me sembla  urgent finalement d’en proposer la dégustation.

Chaperon avait répondu sur quatre mots.

Tu vois quel accompagnement?

Hébété, j’avais osé ajouter :

Tu veux parler de la boisson ?  

Puis, curieusement, Chaperon n’avait plus rien laissé sur le forum.

Heureusement que le gâteau de crêpes, je ne l’avais pas réalisé en vrai, sinon il aurait rassi…

Je guettais, jour après jour, ses allées et venues, mais en vain.

Un matin, très tôt, la voilà à nouveau, qui vient me réveiller de son ton arrogant.

Chaperon s’achemine vers la Chandeleur, elle te dira bientôt comment trouver la maison de grand-mère.

Je retournais sur reveille-toi.com, avec plus d’assiduité ; les jours qui rallongeaient, sans doute… Non pas parce que je rêvais ; je ne rêve jamais, je suis du genre terre à terre et puis, un râteau, c’est un râteau, même s’il veut changer les choses. Non ! Pas pour le rêve, mais savoir tout bonnement si Chaperon y était revenue. Je tombai sur un message posté de quelques heures.

Vrai de vrai, Chaperon y était ; elle parlait même de moi !

J’ai concocté un gâteau de crêpes pour gateau.com, ce garçon pâtissier qui sait bien expliquer les choses. Mieux encore, qui semble bien savoir, avec beaucoup de conviction goûteuse, comment les mener à bien. Je ne veux pas d’autres recettes…

Il me fallait réagir. Une lueur -j’en ai peu, d’ordinaire- me fit écrire :

28 jours encore avant la Chandeleur, un cycle en somme, celui de la lune qui nous guide. Elle est arrivée à son déclin, elle est maigre, en D et elle boude encore, mais demain, elle va commencer à se déployer, à gonfler, à se peaufiner, et moi, j’attendrai avec elle ; pour le gâteau de crêpes, j’entends. 

Illico, Chaperon répondit en trois phrases, comme dans un conte.

Douze crêpes minimum, j’espère…  fut la première.

Tout de suite suivie par :

Les jours grandissent vite, le réveil a sonné! 

Et en point d’orgue :

J’attends l’indigestion… 

Fin janvier donc, j’ai ressenti tant d’impatience que j’ai posté ma petite phrase à moi, toute menue :

L’hiver s’éternise … 

Chaperon prit quelques jours.

Vrai que les rois sont passés hier…

Alors, soudain je n’ai plus voulu attendre. J’ai tout avoué ; que je ne m’appelais pas Gâteau, mais Râteau ; que j’en étais insatisfait ; que si j’aimais les crêpes à la folie, mon goût ne se limitait pas à cet en-cas ponctuel ; enfin que je ne cherchais rien d’autre que de trouver de nouvelles nourritures car, je sentais bien que je n’avais pas été assez nourri tout ce temps qui avait été le mien.

Je signai Râteau, rien de plus. Avec l’accent quand-même parce qu’il me donnait du courage…

Chaperon apparut en pop-up et dans une bulle. On y avait dessiné un gâteau de crêpes haut comme une tour ; une légende au- dessous, en lettres minuscules, disait :

Ils ont mis pierre sur pierre, entre terre et ciel,

Ils ont construit de leur main, la tour de Babel[1] 

Suivaient un nom, une adresse de courriel et un numéro en 06.

C’était tout.

Élisabeth Groelly. Février 2015.

[1] Chanson de Marie Laforêt. 1967. Texte de Guy Béart.