Ah les mots! Et ce qu’ils contiennent… et ce qu’ils décrivent…

J’étais en train de terminer ses nouvelles et pan! il me tire dessus, Sylvain Tesson*, juste pour me réveiller de ma torpeur et je me mets à réfléchir. L’hôpital est un lieu où l’on a besoin de se nourrir; les urgences encore plus. J’attends et je lis, je lis et j’attends. À la page 201,  je découvre le mot: Pofigisme; on parle de Russie et soudain je fais le lien : мне по фигу ça veut dire je m’en fous! Je ne suis pas aux urgences pour ça mais c’est pourtant de ça que je souffre,  de cette attitude russe, de l’acceptation des choses quand elles nous dégoulinent dessus, épaisses et gluantes…celui qui a faim dans la rue, celle qui tend la main, l’homme qui me demande la cigarette que je n’ai pas, la jeune mère qui est là, son petit qui a froid sur les genoux, la vieille édentée qui lui ressemble et qui m’implore quand je ne fais que passer… ou bien toutes ces  enveloppes bombées qui m’offrent un stylo ou un carnet pourvu que je donne aux non-voyants, à ceux qui ont le cancer ou un handicap, ceux qui sont seuls, pauvres, sans moyens…ceux qui crient au secours à la fin d’une année et recommencent au début d’une autre parce que leur cri s’est perdu…ou encore les boues rouges de Mange-garri ou le Ferry- boat que l’on va supprimer ou ce théâtre qu’on va fermer ou ce jeune homme qui… Et soudain, l’horreur d’une tuerie, une autre!

Dites,  vous faites quoi, vous? Quels médocs, quels cachetons on vous a donnés pour le faire passer le  pofigisme? Ah, mais c’est vrai, vous n’êtes pas russe et vous êtes généreux, vous. Je n’aurais pas dû vous en parler. Je reste aux urgences! Qui sait on va peut-être me soigner   pour cette maladie qui me ronge, surtout quand l’automne s’installe long et noirâtre…

мне по фигу я не могу.  M’en foutre? Je ne peux pas…

  • S’abandonner à vivre, nouvelles, Gallimard.